L'école, en Palestine

Tiré de Al Oufok
Rentrée scolaire à Gaza



"Salut Hatem... tu fais grève ou pas ?"
"je suis un peu ennuyé car je n’ai pas de voiture"
"t’as pas besoin de voiture pour faire grève !"
"bien sûr que si..."
"comment ça ?"
"si je fais grève, ils vont me muter dans une autre école, sûrement à
l’autre bout du département... je n’ai pas envie de me taper des heures
de transport par jour pour une heure ou deux de cours"
"c’est sûr que c’est pas marrant... en même temps si on ne réagit pas, nous serons tous mutés d’office"
"je sais bien, mais pour l’instant je suis toujours affecté à mon école de quartier où j’enseigne depuis sept ans..."
"tu verras... ça ne va pas tarder"
"quoi ?"
"ta nouvelle affectation"
"qu’est-ce t’en sais"
"tous les copains syndiqués chez nous la reçoivent"
"quel intérêt ont-ils à faire ça ?"
"ils remplacent les nôtres par les leurs aux bons endroits"
"c’est quoi un bon endroit ?"
"là où il y a le plus d’élèves"
"t’es fou ou quoi !?... c’est là qu’il y a le plus de travail"
"oui mais pour eux, l’enjeu n’est pas le travail scolaire"
"c’est quoi alors ?"
"c’est tout ce qui accompagne le travail scolaire..."
"ah !... je vois"
"alors, que décides-tu ?"
"je prends le risque d’attendre"
"attendre quoi ?"
"l’ordre d’affectation"
"et que feras-tu après ?"
"je laisse tomber l’enseignement"
"pour faire quoi ?"
"je ne sais pas moi... chauffeur de taxi"
"chauffeur de taxi !?"
"oui... pour transporter les profs mutés"
"... !?"
Al Faraby

"Taxi... taxi... taxi !"
"je vous emmène où ?"
"à Rafah, s’il vous plait... tiens, tiens... qui vois-je là... mais c’est Hatem, ma parole... tu fais le taxi à présent !?"
"eh oui mon frère... obligé, sinon on crève de faim"
"pourquoi, ça ne paie pas bien l’éducation nationale ?"
"parle pas de malheur"
"qu’est-ce qui t’es arrivé ?"
"si je te raconte tu ne me croirais pas"
"raconte toujours"
"te rappelles-tu de la grève en début d’année à l’appel du syndicat ?"
"parfaitement"
"je ne l’ai pas suivie pour éviter d’avoir des problèmes d’argent, surtout que c’est juste... juste... en ce moment"
"à qui le dis-tu !"
"je m’étais dit que si on me mutait, j’aviserai..."
"et alors ils t’ont muté et tu as démissionné"
"mais pas du tout... pas du tout..."
"c’est quoi alors ?"
"n’ayant pas fait grève... ils m’ont promu"
"qui -ils-"
"ceux du gouvernement d’ici..."
"mais c’est plutôt une bonne nouvelle que tu me racontes-là !"
"mais pas du tout... pas du tout..."
"je ne comprends pas"
"ayant été promu par ceux-là, les autres ont arrêté de me verser mon salaire"
"qui les autres ?"
"ceux du gouvernement de là-bas"
"oh merde... et alors ?"
"comme tu dis... c’a été la mouise totale... obligé de changer de travail pour gagner un peu d’argent... et toi ?"
"en ben moi, j’ai fait grève... alors ceux d’ici m’ont muté à Rafah..."
"tu continues à être payer quand même !"
"oui, par ceux de là-bas... mais je dépense énormément d’argent dans le
transport... ça fait qu’il nous reste encore moins d’argent pour la
nourriture... et toi, tu t’en sors ?"
"tu rigoles... vu le prix de l’essence... les gens ne prennent plus le taxi... sauf en cas d’extrême nécessité"
"comme moi... le bus m’est passé sous le nez... je l’ai loupé à
quelques secondes... le matin, je suis toujours en train de courir"
"t’as pas changé... toujours couche-tard et lève-tard..."
"j’arrive pas à dormir la nuit... t’as vu combien on est dans cet immeuble ?"
"eh oui, je sais... le nôtre c’est pareil... moi, il arrive que je reste dormir dans la voiture"
"tiens, voilà mon bus... tu me déposes jusqu’au prochain arrêt, je vais le prendre..."
"mais non, cher collègue, je t’emmène jusqu’à ton école..."
"... !?"